Aujourd’hui on désigne par citoyen une « Personne jouissant, dans l’État dont elle relève, des droits civils et politiques, et notamment du droit de vote (par opposition aux étrangers) » (définition du Larousse). Cette définition sous-entend que tout individu peut agir politiquement notamment par l’usage du droit de vote ; chose possible de nos jours uniquement dans les états démocratiques. La citoyenneté est une qualité inhérente à la personne, elle n’a pour retenue que l’appartenance à un État mais peut être également supranationale (citoyenneté soviétique, européenne). Nulle question de nos jours de citoyenneté partielle, elle est totale, sans condition. Parfois on trouve, raccroché au terme, la notion de devoir mais plus du côté moral qu’institutionnel, comme « agir en bon citoyen » c’est-à-dire respecter les valeurs démocratiques et si l’on va un peu trop loin on pourrait aller jusqu’à dire il ne peut y avoir de bon citoyen sous une dictature tant le terme est lié à la démocratie. Pourtant celui-ci a revêtu énormément d’autres significations au cours de l’histoire pour lesquelles droits comme devoirs participent sans faillir à la citoyenneté. Par exemple, pour les Grecs de l’Antiquité, être citoyen c’est jouir de droits qui ont en écho des devoirs, une condition nécessaire et irréductible à l’exercice des premiers.
Aujourd’hui le terme « citoyen » est utilisé à tout va surtout dans son acceptation héritée de la tradition issue de la Révolution française qui a fait de l’individu un acteur et non plus un sujet. Il en va autrement pour l’historien car les mots qui désignent le citoyen recouvrent des réalités très différentes suivant les civilisations, les époques et les lieux.
Dès l’Antiquité se sont posées les questions de la définition du citoyen, de l’intégration ou de l’exclusion, de sa place au sein de la société ou de l’État quelle que soit la nature de celui-ci. L’évolution de l’emploi du terme même dans l’Antiquité montre l’évolution de la citoyenneté sans pour autant la confondre avec celle actuelle.
Naissance du terme et étymologie
Dans l’Antiquité, la citoyenneté est avant tout une réalité des petites communautés du pourtour méditerranéen, plus particulièrement des cités grecques et de la cité de Rome. Les Anciens, grecs et latins, ont cependant appelé « cités » d’autres communautés qui, selon eux, semblaient s’organiser selon des modalités analogues comme par exemple les Phéniciens ou encore les Étrusques, ces dernières demeurant cependant très mal connues. Les Grecs et les Romains sont toutefois à l’origine de l’invention du mode de fonctionnement politique qui est en place aujourd’hui dans nos sociétés occidentales. Le mot « citoyen » vient du latin civis (qui habite la cité/civitas). Il recouvre une réalité physique, la référence au territoire sur lequel il vit, mais également et surtout une réalité humaine, la cité étant avant tout une communauté d’hommes qui débattent ensemble des décisions à prendre pour la gestion de leur cité. Ce mot s’est d’abord appliqué dans les premiers temps aux habitants de la cité de Rome et s’est étendu avec la langue latine à d’autres régions et civilisations pour désigner des réalités à peu près équivalentes à la réalité romaine. C’est le cas notamment dans l’Orient grec où le régime de la cité-état existait depuis environ le VIIe siècle av. J. -C. et où il avait perduré malgré l’apparition des royaumes hellénistiques.
Le terme civis a en effet son équivalent plus ancien en grec, politès (qui habite et gère la polis/la cité) qui a donné « politique » (s’occuper des affaires publiques). À ce terme il faut adjoindre celui de démos qui lui est antérieur et apparaît en même temps que l’écriture grecque alphabétique vers le VIIIe siècle av. J. -C., il désigne alors les personnes présentes lors des premières assemblées mentionnées dans l’Iliade ou l’Odyssée. Celles-ci même si elles semblent passives, paraissent indispensables au déroulement de la vie de la communauté et à la prise de décisions que ce soit celles de rois ou celles de conseils d’Anciens ou de « magistrats » désignés. Les premières apparitions du terme politès figurent donc dans l’Iliadeet l’Odyssée mais il est toujours utilisé au pluriel et désigne alors l’ensemble des habitants d’une ville qui va être prise sans distinction de sexe ou de statut. On ne peut dire s’il s’agit des hommes et des femmes ou des seuls hommes, on remarque toutefois que le terme est utilisé pour désigner des communautés qui n’appartiennent pas au monde grec, les Grecs préférant utiliser pour leurs propres cités le terme d’astu (souvent entendu comme ville ou citadelle) et astoi pour leurs habitants. Dans la littérature de l’époque archaïque du VIIe au début du Ve siècle av. J.-C., politès continue d’être employé au pluriel, politai, et désigne alors les « autres » dans la communauté, les concitoyens, comme par exemple les sujets du Roi perse dans Les Perses d’Eschyle (472 av. J.-C.) où politai désigne les sujets du Roi, ceux qui vivent dans les villes, les provinces de son empire. Ce n’est qu’avec le développement institutionnel de la cité-état aux Ve et IVe siècles et plus particulièrement d’Athènes, que le terme de politai et surtout au singulier de politès prend une dimension institutionnelle et sert à désigner ceux qui le sont par opposition à ceux qui ne le sont pas, en particulier les étrangers. Parallèlement apparaissent alors des composés qui montrent l’importance institutionnelle du terme, le plus courant étant néopolitès (« nouveau-citoyen ») pour désigner des individus qui deviennent non pas citoyens mais qui acquièrent un statut qui s’en rapproche. C’est le cas également de apopolitès (« le hors-polis »), terme qui désigne alors souvent les mercenaires que les Grecs jugent sans foi ni loi. D’autres composés se retrouvent encore dans les textes épigraphiques sans que nous ne sachions vraiment leur réalité institutionnelle comme sunpolitès, allopolitèsou kosmopolitès… à l’époque hellénistique ils montrent tous la nécessité de toujours voir le mot « citoyen » dans la réalité antique proche de son contexte d’emploi. « Citoyen » recouvre en effet des réalités multiples qui ne peuvent être réduites à des généralités et c’est toujours par l’existence d’autres statuts que l’on peut le définir : il est difficile par exemple de qualifier les Homoioi (citoyens de Sparte) sans parler des Périèques ou des Hilotes, catégories inférieures à Sparte comme il est difficile de parler du citoyen athénien sans évoquer le statut du métèque, l’étranger résident, à Athènes.
La citoyenneté en Grèce antique : de l’oligarchie (ou la monarchie) à la démocratie
Quel que soit le régime politique, la citoyenneté dans les cités-états de Grèce est avant tout une citoyenneté par exclusion et c’est par ce que les autres n’ont pas le droit de faire dans la cité que le citoyen se définit plus que par ses véritables droits, y compris dans le cadre de régimes tyranniques ou oligarchiques dans lesquels ils sont restreints. C’est un des principaux traits de la citoyenneté antique qui veut que même si sa capacité d’action est presque nulle, le simple fait d’être citoyen place celui-ci au-dessus des autres habitants. Le meilleur témoin de l’exercice de la citoyenneté à Athènes est Aristote qui ayant été métèque (étranger) durant ses trente années de résidence en Attique était le mieux à même de voir ce qui le distinguait du citoyen. C’est pour Athènes que nous avons le plus de renseignements sur la réalité que désigne le terme de citoyen mais il ne faut en aucun cas en tirer des généralités ; et si Athènes a peut-être connu la citoyenneté la plus élargie et la plus théorisée elle n’est probablement qu’une exception parmi les autres cités du monde grec pour lesquelles nous ne disposons que de très peu d’informations dans la plupart des cas qui sont de plus transmises aussi par les Athéniens. Seul point commun à l’ensemble des cités : on ne parle dans les sources antiques, sauf exception de circonstance, que de ceux qui agissent, c’est-à-dire des citoyens, et non pas du territoire : c’est ainsi que l’on dit les Athéniens et non Athènes, les Corinthiens et non Corinthe, etc. La seule exception est peut-être Sparte pour laquelle on parle tantôt des Spartiates, tantôt des Lacédémoniens, appellations qui illustrent les différents degrés de la citoyenneté que l’on ne retrouve qu’exceptionnellement ailleurs. Quand bien même ils sont dirigés par un tyran autocrate comme Phidon d’Argos (VIIe siècle av. J.-C.) ou Cypsélos de Corinthe (vers 655-vers 625 av. J.-C.), on parle des Argiens ou des Corinthiens ne serait-ce qu’en référence à leur capacité immédiate à participer activement à la défense de la cité. Les femmes sont en revanche exclues de l’exercice de l’activité politique, le terme « citoyenne » n’existe d’ailleurs pas (pas d’emploi de politès au féminin), par contre le terme astos s’employait au féminin pour désigner les femmes pouvant transmettre la citoyenneté et donc montre leur appartenance à la communauté civique.
Citoyenneté et contrôle
Le statut particulier qu’est la citoyenneté ne serait se concevoir alors sans contrôle par l’ensemble de la communauté civique et il faut aussi voir dans le terme de citoyen, un homme qui a reçu l’assentiment de l’ensemble de ses concitoyens pour exercer ses droits. Le terme de citoyen ne saurait donc s’affranchir de celui de démotès (habitant du dème) à Athènes, c’est-à-dire membre de la division administrative dans laquelle le jeune garçon s’inscrit, ou encore de celui d’homoios (« égal ») à Sparte. Le terme de démotai apparaît dans la littérature en même temps que le terme de politai mais désigne plutôt les gens du pays, ceux qui habitent le territoire, la « terre des pères », quand les politai ne sont que les concitoyens sans plus de précisions. D’ailleurs chez Tyrtée (VIIe siècle av. J.-C.) et Pindare (522-443 av. J. -C.) les démotai sont les hommes qui donnent leur avis. Le terme devient plus restrictif et s’applique essentiellement à la division de base de l’Athènes du Ve siècle, le dème correspondant à ce qui serait aujourd’hui un canton, au-dessus du simple village. Ce sont effectivement les autres déjà citoyens dans le cadre privé et local qui octroient la citoyenneté en attestant de l’origine citoyenne du père de l’intéressé, c’est ce dernier qui présente son fils à l’assemblée locale à Athènes, qui le confie à l’éducateur civique à Sparte et pose ainsi les premiers jalons de sa condition de citoyen. Le jeune reçoit d’ailleurs son démotique, son nom, et est inscrit sur le registre dès que sa qualité est établie. Il participe alors aux différentes fêtes civiques d’où sont exclus les non-citoyens et jusqu’à sa majorité c’est essentiellement par la participation aux cultes que sa citoyenneté est affichée que ce soit les Apatouries à Athènes ou les Hyakinthies à Sparte. Comme le disait Fustel de Coulanges : « On reconnaissait le citoyen à ce qu’il avait part au culte de la cité, et c’était de cette participation que lui venaient tous ses droits civils et politiques. Renonçait-on au culte, on renonçait aux droits » (Fustel de Coulanges, La Cité antique, 1864, p. 246). Son intégration définitive ne se fait toutefois qu’après son incorporation dans l’armée entre 18 et 20 ans quelle que soit la cité, c’est d’ailleurs cette capacité à la défendre qui fait de lui un citoyen à part entière comme on le voit pour Sparte où les citoyens que l’on avait vu fuir face à l’ennemi étaient déchus de leurs droit.
Par le biais de ces « contrôles », la citoyenneté grecque était très fermée mais pouvait sous de très rares conditions être accordées à des étrangers. Elle était un statut envié et recherché à Athènes au Ve siècle. Si on ne donnait pas la citoyenneté, on accordait ce que l’on appelait l’isopolitie, c’est-à-dire le droit de bénéficier des mêmes droits que les citoyens. Celle-ci était accordée aux ressortissants d’une cité étrangère venant s’installer à Athènes ; ils n’étaient toutefois pas appelés polites mais isopolites pour marquer la différence de statut et ce droit n’était pas transmissible si le traité venait à être rompu. L’octroi de l’isopolitie permit à Athènes de faire participer de nombreux étrangers à l’effort de guerre, l’eisphora, au IVe av. J. -C.
Une citoyenneté que l’on doit pouvoir maintenir
Le contrôle des critères requis pour être citoyen s’effectuait tout au long de l’existence si on en croit par exemple la surveillance des jeunes et celle de l’écot des Spartiates. Les conditions d’accès à la citoyenneté spartiate étaient beaucoup plus nombreuses et sélectives qu’à Athènes : il fallait être bien sûr né de parents spartiates, avoir fait son service militaire et plus précisément avoir participé à ce que l’on a appelé l’agôgé (Photo n°5), c’est-à-dire l’éducation militaire collective à partir de l’âge de 7 ans, posséder un lopin de terre (kléros) et apporter sa participation en nature et en numéraire au banquet commun de sa tribu. Le simple manquement à une de ces conditions entraînait la privation de droits civiques et reléguait le Spartiate à un rang de citoyen inférieur. Le cas se produisait notamment quand la participation complète au banquet n’était plus possible du fait de la réduction éventuelle de la taille du kléros (ce qui pouvait advenir en cas de division pour héritage). À côté de cela votre simple comportement lors des combats pouvait pousser l’assemblée à vous déchoir de vos droits sur le simple fait qui vous ayez été tresantes (tremblant, couard) lors d’un assaut ou que vous n’ayez pas rempli vos obligations religieuses.
Si les conditions d’accès à la citoyenneté étaient moins drastiques à Athènes, il était aussi tout à fait possible d’être rayé des listes civiques. Un individu pouvait être à la suite d’une faute grave dont la nature nous demeure encore floue frappé d’indignité civique et se voir déchu de ses droits, il passait alors de politès à atimos (« privé d’honneur ») et donc mis au rang des étrangers. Il demeurait toutefois souvent membre de la communauté civique, pouvait rester propriétaire de ses biens et son union avec une Athénienne restait légitime. Souvent l’atimie est mentionnée comme partielle : l’individu pouvait ne plus avoir droit à la parole lors de l’assemblée mais pouvait assister aux séances, ou on pouvait encore lui interdire l’entrée sur l’agora ou ne plus lui permettre d’ester aux tribunaux.
La théorie d’un idéal et le métier de citoyen
Ce qui a pu fasciner à l’époque moderne les admirateurs de la citoyenneté antique c’est avant tout cette implication de l’individu dans la chose commune (la politeia pour les Grecs, la Res publica pour les Romains), car en effet être citoyen n’était pas uniquement faire partie d’une même communauté, c’était aussi prendre en main le devenir de celle-ci. C’est pourquoi les auteurs antiques évoquent le « métier » de citoyen et ont tenté de le définir. Cette participation à une vie commune se manifestait dans trois domaines : la vie politique qui concernait la prise de décisions pour la communauté tout entière, la vie religieuse qui assurait une bonne entente entre la communauté civique et les dieux dont on attendait aide et protection et enfin la vie militaire qui concernait la défense du territoire. Si la participation à ces trois pans de la vie commune impliquait différemment les individus suivant les cités, elle était la manifestation pleine et entière des droits des citoyens par rapport aux autres habitants du territoire, aucun citoyen n’aurait su s’en détourner. Le métier de citoyen impliquait donc la fréquentation des différentes institutions de la cité : l’assemblée, les conseils et les différentes magistratures et sacerdoces dans une démocratie de façon décisionnaire, dans une oligarchie de façon consultative. Pour les Grecs, il ne s’agit toutefois pas, la plupart du temps, d’un métier exclusif comme le souhaiteraient les philosophes, à l’exception peut-être des cités oligarchiques comme Sparte dans lesquelles le citoyen se consacrait uniquement à l’activité militaire et politique. Le meilleur citoyen selon l’idéal philosophique donné par Xénophon est celui qui cultive un bout de la terre civique (le kléros), mais, à Athènes tout du moins, il n’est pas obligatoire d’être agriculteur pour être citoyen.
La citoyenneté grecque : une citoyenneté fermée
Tout le monde ne pouvait être citoyen et nombre de conditions restrictives s’exerçaient suivant les cités. Si toutes ont environ en commun d’exiger un père citoyen et la participation à la défense du territoire et aux cultes, la citoyenneté est extrêmement variable d’un régime politique à l’autre et même d’une cité à l’autre. Pour Athènes après la loi de 451 av. J.-C. de Périclès, il fallait également que la mère soit de souche athénienne ce qui écartait les garçons issus d’unions entre un athénien et une étrangère. Pourquoi cette loi? deux raisons ont été avancées, d’un côté cela pouvait éviter les alliances de puissantes familles de cités différentes qui aurait menacé l’équilibre athénien, de l’autre la mise en place de l’indemnité de siège à l’assemblée nécessitait de limiter le nombre de citoyens pour éviter une banqueroute de l’État. Dans certaines cités votre profession pouvait vous interdire l’accès à la citoyenneté, c’est le cas des artisans à Corinthe, dont le nombre devait pourtant être conséquent quand on connaît la grande activité économique de production et d’exportation de vases de la cité entre le VIIe et le VIe siècles. À Thèbes également, il ne fallait pas avoir exercé de profession artisanale ou commerçante depuis au moins dix ans pour pouvoir intégrer le corps civique. Ensuite bon nombre de cités exigeaient un cens minimum pour accéder à la citoyenneté qui était alors interdite aux plus pauvres comme à Marseille, Rhodes, Rhégion ou encore à Athènes lors du gouvernement des Trente (403 av. J.-C.) et après la défaite face aux Macédoniens en 322 av. J.-C.. L’Athènes du Ve siècle avec l’ensemble de ses classes censitaires, notamment celles qui ne possèdaient pas de kléros, qui peuvaient débattre à l’assemblée est une exception. De fait, outre la participation à l’assemblée l’ensemble des magistratures n’était accessible qu’aux plus riches.
Tout le monde ne pouvait participer en effet de façon équivalente aux différentes charges de l’État. L’exercice d’une magistrature n’est pas un droit lorsque l’on était citoyen et tout le monde ne pouvait y prétendre. Leur accès était limité par l’âge, ce qui peut s’entendre car il fallait avoir un minimum d’expérience politique mais aussi par la fortune. Ce point s’explique dans le cas d’Athènes par le fonctionnement particulier de sa démocratie, seul régime pour lequel nous connaissons à peu près le fonctionnement des institutions. La cité exigeait que ses élus soient responsables sur leurs propres deniers si jamais leur reddition de compte en fin de charge laisser transparaître un « trou dans la caisse », l’ensemble des citoyens s’assurait alors l’équilibre financier en ne confiant ces tâches qu’à ceux qui avaient la capacité de rembourser.
La citoyenneté sous les rois macédoniens puis sous le joug de Rome
Après la conquête de la Grèce par Philippe II de Macédoine et Alexandre le Grand après la bataille de Chéronée (338 av. J.- C.), les cités perdirent leur autonomie et donc leur capacité à se gérer seules. Toutefois elles purent garder leur gestion locale et la vie civique continua d’être active sous les royaumes hellénistiques puis plus tard sous l’Empire romain. Dans le cas d’Athènes, il lui fut imposé dès 322 av. J.-C. à la fin de la guerre lamiaque un régime censitaire, c’est-à-dire que l’obtention des droits et des devoirs civiques était soumis à la possession d’un bien d’au moins 2000 DCH, ce qui eut pour conséquence immédiate, d’après les Anciens, d’exclure plus de la moitié de la population des affaires publiques. Si les autres cités nous sont bien moins connues, il apparaît que la citoyenneté ne fut plus octroyée qu’à de petits groupes de riches propriétaires qui étaient en mesure de pouvoir assurer l’entretien et l’embellissement de la ville. Si la participation aux cultes demeura l’apanage de l’ensemble de la communauté civique elle ne fut plus guère que le seul moment d’expression du premier degré de citoyenneté, le plan politique étant réservé aux riches propriétaires et le plan militaire étant sorti de la cité pour être confié à l’armée personnelle et professionnelle du roi.
Le citoyen romain, de la cité de Rome…
Si la citoyenneté hellène est dans chaque cité indivisible et surtout fermée, la citoyenneté romaine montre une autre manière d’envisager les droits et les devoirs des individus : elle comprend comme un ensemble de prérogatives dissociables que l’on peut posséder en totalité ou en partie et qui donnent alors différents degrés de citoyenneté et surtout elle est largement distribuée aux cours des siècles par Rome. Cette conception de la citoyenneté s’explique par l’histoire de Rome puis par celle de l’extension de sa zone d’influence jusqu’à son empire.
L’Empire romain à partir du IIIe siècle av. J.-C. fut en effet confronté à la nécessité de redéfinir une citoyenneté qui recouvrait une réalité géographique sans cesse en expansion. À l’origine le droit de cité complet comprend à Rome des droits civils (le droit de se marier régulièrement, jus connubii et le droit de faire des actes juridiques, jus commercii) et des droits politiques (le droit de vote, jus suffragii, et le droit d’être élu à une magistrature, jus honorum). La citoyenneté romaine était à l’origine celle qui s’exerçait dans le cadre de la cité de Rome, elle s’appliquait aux hommes libres inscrits dans les différentes tribus de l’Urbs ; dès la mainmise de Rome sur les territoires et les populations de l’Italie puis sur l’ensemble du pourtour méditerranéen, ses modalités d’exercices devinrent plus complexes et elle changea surtout de nature. Elle passa d’une citoyenneté réelle qui correspondait, comme dans les cités grecques, à une participation concrète même partielle aux organes de décisions à une citoyenneté symbolique qui par collation montrait le consensus d’adhésion à la domination romaine et entérinait sa légitimité. C’est l’octroi à des populations non-italiques d’une certaine citoyenneté qui pendant un peu plus de six siècles assura la cohésion de l’Empire.
… à tout de l’Empire.
À partir du IIIe s. av. J.-C. avec l’extension de sa domination sur le sud de l’Italie, la Sicile et la Sardaigne, Rome intégra les communautés entières tout en leur laissant leur autonomie et leurs institutions, les citoyens « locaux » devenaient citoyens romains mais gardaient aussi leur citoyenneté locale. Les deux se distinguaient par les droits auxquels elles donnaient accès : la première se définissait surtout par la participation à un droit commun, l’autre était l’exercice réel des droits et devoirs politiques dans le cadre civique originel avec les conditions d’octroi initiales. Les communautés, devenues municipes, participaient à l’effort financier et militaire romain (le tribut et le service militaire). Rome par la pratique de ces citoyennetés emboitées rendit alors possible l’extension de la citoyenneté à l’ensemble de l’Empire.
Parallèlement l’installation de Romains sur les terres confisquées aux ennemis vaincus étendait la surface du domaine public de Rome (ager publicus), les colonies, et le champ d’application des institutions de l’Urbs, les colonies n’ayant pas d’institutions propres. Ces ilots de romanité dans des terres où la civilisation et la culture gréco-romaines étaient étrangères contribuèrent à l’adhésion au fonctionnement institutionnel romain. Un phénomène de rebours se produisit alors et les élites des communautés conquises, qu’elles aient ou non été familières du système civique, revendiquèrent alors la citoyenneté romaine. Celle-ci fut accordée en suivant de façon collective et non pas individuelle notamment aux populations de l’Italie au Ier siècle av. J.-C.
La citoyenneté se transmettait par la naissance mais aussi donc par collation ultérieure comme dans le cas des affranchis qui pouvaient la recevoir de l’Empereur notamment au bout d’une ou deux générations. Elle s’acquérait aussi pour les étrangers par le service militaire de 26 ans à l’issu duquel ils la recevaient de pleins droits. Ce fut longtemps un mode d’accès courant.
Les cités-municipes extérieures à Rome qui s’étaient vues donc accorder la citoyenneté romaine avaient leurs citoyens désignés sous les termes ciues romani minuto iure (citoyen romain de droit diminué ou de droit inférieur) car ils ne possédaient ni droit de vote ni droit d’accès aux magistratures quand les citoyens de pleins droits prenaient le nom de ciues optimo iure (citoyen complet). Elles étaient cependant soumises au droit romain dont bénéficiaient leurs habitants. Les cités a qui n’avait pas été accordé ce droit étaient appelées pérégrines et restaient sous le fonctionnement de leur citoyenneté locale.
Cette conception d’une citoyenneté ouverte permit à Rome l’intégration des populations locales. En 212, l’Empereur Caracalla (211-217) marqua l’unité de l’Empire par la romanisation des provinces et récompensa la fidélité des cités pérégrines par l’octroi de la citoyenneté romaine à l’ensemble des habitants de l’Empire (Photo n°10) excepté ceux que l’on nomma les déditices, c’est à dire les populations soumises par la force et refusant l’intégration romaine. Lorsque Rome, entre la fin du IIIe et le Ve siècle, fut assaillie sur ses frontières, elle étendit la citoyenneté romaine aux peuples barbares, jusque là laissés à l’écart, par la pratique du foedus, c’est à dire un traité d’alliance et de soumission à Rome qui en échange de l’aide militaire à Rome autorisait les signataires à s’installer sur ses terres en gardant leurs institutions et leur propre système de droit. Petit à petit ces populations sédentaires commencèrent à régner indépendamment de Rome et la citoyenneté romaine tomba en désuétude.
La citoyenneté au Moyen-Âge : la brève expérience des cités-états italiennes.
Le terme de citoyen ne fut cependant pas oublié au Moyen-Âge et notamment en Italie du nord et du centre. Dans des cités comme Vérone ou Milan, on le trouve encore utilisé et revendiqué ; il ne semble plus toutefois s’attacher qu’aux habitants des villes et ne plus désigner un droit au delà de la vie municipale même sous Charlemagne qui se voulait pourtant successeur des empereurs romains et restaurateur de la romanité.
Le terme de « citoyen » ne reprit toute sa signification qu’avec les Communes du nord et du centre de l’Italie au XIIe siècle autorisées par la paix de Constance en 1183 et jusqu’à la fin du XIVe avec leur disparition. Il apparaît qu’être ciuis c’est participer à l’assemblée populaire où se prennent les grandes décisions de la vie municipale, où sont élus les consuls et les administrateurs de la politique étrangère, même si cette assemblée reste dominée par l’aristocratie urbaine militaire. Les statuts du XIIIe siècle disent nettement les droits et devoirs de ceux qui sont citoyens : habiter en permanence en ville, y posséder une maison, être soumis à l’assiette de l’impôt, remplir son devoir militaire. Comme participer à la milice militaire impliquait de fournir soi-même son armement, un certain niveau de fortune était donc exigé. Il en allait de même pour le paiement de l’impôt. C’est en cela que le citoyen se distinguait des autres habitants de la ville. La communauté des citoyens se retrouvait aussi dans la célébration du saint patron de la ville également saint de la communauté (ce qui n’est pas sans rappeler les pratiques civiques religieuses de l’Antiquité), la non participation des citoyens à la cérémonie pouvait entrainer des amendes comme à Sienne où la non-participation au Palio en l’honneur de la Vierge, protectrice de la ville, entraînait une amende de 100 sous. Le droit de citoyenneté se perdait dès lors que l’on n’avait plus de résidence dans la ville, ce qui pouvait arriver lors de l’expulsion et de la saisie de ses biens au cours des nombreux troubles qui survinrent dans les communes italiennes aux XIIIe et XIVe siècles.
Les communes italiennes ne revinrent sur la citoyenneté qu’avec la montée des principautés territoriales, en devenant sujet du Prince les citoyens et l’assemblée populaire perdirent petit à petit leur rôle et surtout leur réalité.
De l’Antiquité au Moyen-Âge, la citoyenneté n’a concerné qu’une petite part des individus ; statut envié elle était recherchée et son octroi assuré à l’état qui la donnait l’adhésion de ceux qui la recevaient. Elle permit notamment la création d’un Empire romain universel au IIIe siècle ap. J.-C. Etre citoyen s’était avant tout appartenir à une communauté d’hommes qui se reconnaissaient entre eux par la part active qu’ils prenaient au destin de celle-ci ; la citoyenneté était toutefois exclusive. Il faut attendre l’époque moderne pour que le terme citoyen recouvre une réalité presque universelle, tant est si bien que nous avons aujourd’hui quelques peines à borner les limites de son emploi.