« Vive le Roi !/ Foin de l’amour !/ Le drôle m’a joué d’un tour/ Qui peut confondre son audace,/ La Du Barry, pour moi de glace,/ Va dit-on changer mes destins./ Jadis, je dus ma fortune aux catins:/ Je leur devrai donc ma disgrâce ».
Cette chanson intitulée « le duc de Choiseul parle » sur le timbre de Vive le vin, vive l’amour date de 1769. Elle traduit les lamentations d’un excellent ministre qui fut le maître de la France pendant douze ans (1758-1770), Étienne-François de Choiseul, comte de Stainville puis duc de Choiseul (photo n°1). Élevé à ce sommet grâce à Jeanne-Antoinette Poisson, marquise de Pompadour (1721-1764), il fut en danger lors de la mort de sa protectrice en 1764 qui laissait vacante la place de ce que le public en toute connaissance appelait la charge de la putain du roi. Louis XV qui n’avait jamais pu vivre sans maîtresse et confidente depuis le début des années 1730 s’enticha de mademoiselle de Vaubernier ou Jeanne Bécu, comtesse de Du Barry (1743-1793) en 1768 et la maintint auprès de lui jusqu’à sa mort le 10 mai 1774. A quoi tient la place d’un ministre, nous dira-t-on ? Le public n’était pas dupe d’un enjeu capital qui, au gré des clans et des animosités de la Cour, mettait le goût du Roi pour les femmes en compétition. Être dans le lit du Roi et surtout pouvoir y demeurer, était une victoire pour l’heureuse élue et tous ses protecteurs ; la question était de savoir qui tenait les rênes de ce choix capital. Dans ce domaine, Louis XV n’était pas le maître comme le fut son aïeul Louis XIV. Au milieu des années 1720 déjà, avant même son mariage avec Marie Leszczynska (1703-1768), on chansonnait sur celle qui fut chargée de le déniaiser, la duchesse de la Vrillière de 22 ans son aînée.
« Battons le fer quand il est chaud,/ Dit-elle, en faisant sonner haut/ Le nom de sultane première./ Je veux qu’en dépit des jaloux/ Qu’on fasse duc mon époux,/Lasse de le voir secrétaire […] Je sais bien qu’on murmurera,/ Que Paris nous chansonnera ;/Mais tant pis pour le sot vulgaire./ Par l’épée ou par le fourreau/ Devenir duc est toujours beau,/Il n’importe de la manière./ Bien des maris sont convaincus/ D’être authentiquement cocus/ Et de duchés ne tâtent guère ».
La question d’avoir une maîtresse se posait de manière très particulière chez un roi. Si le peuple appréciait sa force virile, les maîtresses étant un gage de gloire, il craignait des maîtresses qu’elles ne confisquent trop son amour. Le chroniqueur Edmond Jean-François Barbier (1689-1770), réagissant aux ragots, justifiait en ces termes que le Roi ait une maîtresse(1739): « Il est donc ridicule de vouloir que le Roi, qui est bien le maître, soit de pire condition que ses sujets et que tous les rois ses prédécesseurs ». Mais le problème était que dans cet exercice, non seulement il n’était pas le maître, mais qu’il rompait dangereusement avec l’Étiquette de la Cour, négligeant la place de la Reine aux yeux de tous et fragilisant du même coup l’adhésion des sujets aux codes ancestraux de la Monarchie.
Maîtresse et favorite en titre : un métier, une charge
Une maîtresse royale était vouée à un véritable sacerdoce en même temps que son ascension était semée d’embûches. Chaque clan avait sa candidate à la Cour et il fut un temps où Jean Frédéric Phélypeaux, comte de Maurepas (1701-1781), secrétaire d’État à la Marine (1723-1749) était non seulement le champion mais aussi le cauchemar de certaines d’entre elles en composant des chansons qui allaient se diffuser hors de Versailles puis dans tout Paris. A ce jeu, il s’opposa à l’un des conseillers libertins du Roi, en la personne du maréchal Louis François Armand de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu (1696-1788). Maurepas fit partie de la cabale qui au cours de l’été 1744 à Metz écarta la favorite de Louis XV qui l’avait scandaleusement accompagné sur le front de la guerre, Marie-Anne de Mailly-Nesle, marquise de La Tournelle, puis par la grâce du Roi, duchesse de Châteauroux (photo n°2). Au cours de leur séjour à Metz déjà, les habitants avaient très peu goûté à ce qu’ils considéraient comme une injure faite à la Reine, tandis que Louis XV avait fait bâtir un passage en bois pour aller et venir discrètement chez sa maîtresse. Quelques jours auparavant, les soldats déçus de l’attitude de leur roi, avait composé ce couplet lors de l’arrivée de sa maîtresse en Flandres :
« Belle Châteauroux/ Je deviendrai fou/ Si je ne vous baise »
A Metz, Louis XV s’alita si gravement à la fin du mois d’août qu’on le crut perdu et que le parti adverse à la Châteauroux triompha. L’évêque de Soisson, Monseigneur de Fitzjames (1709-1764) obligea le Roi à mettre son absolution pour prix de la disgrâce de sa maîtresse. Louis XV terrorisé accepta et dut également s’humilier devant les princes en faisant amende honorable ! Derrière le carrosse qui emportait la duchesse de Châteauroux ainsi que sa sœur la duchesse de Lauraguais, elle-même ancienne maîtresse en titre du Roi, on chantait sur l’air de : Ton humeur est, Catherine :
« Châteauroux est renvoyée:/ Quelle bénédiction !/ Sa grandeur est éclipsée,/ Chantons-en le Te Deum/ Quelle leçon pour les dames/ Qui courtisent notre Roi ;/ Elles ont beau verser des larmes,/ Pied au cul, on les renvoie »
Sur l’air de la paille au cul, la critique se fait paillarde :
« La paille au cul/ Vous partez donc, grande duchesse,/ La paille au cul !/ Qui de nous l’aurait jamais cru/ Que Louis rempli de tendresse/ Renverrait un jour sa maîtresse,/ La paille au cul »
Une autre chanson très bien renseignée, intitulée « la disgrâce de la Châteauroux » scandait sur l’air de : L’autre jour le biau Lucas :
« Quand l’évêque de Soissons/ Eut envoyé faire faire/ Au nom du Roi trois guenons/ Qui suivaient en vivandières,/ Châteauroux disait tout bas :
Mon p’tit cœur, vous n’m’aimez guère,/ Car tout ça ne vous touche pas/ Hélàs !/ Vous n’m’aimez pas.
Richelieu vous a tant dit/ Que la cabale du bréviaire/ Allait vous tourner l’esprit,/ Qu’il fallait la faire taire,/ Ou bien de l’écouter pas
Refrain (bis)
Nous étions, par vos bontés,/ Deux princesses des plus fières ;/ Nous voilà deux culs crottés,/ Deux chétives dindonnières,/ De nous chacun rira »
La marquise de Pompadour, maîtresse, favorite et maquerelle
Louis XV guérit miraculeusement au début du mois de septembre et à peine rentré à Paris il gratta à la porte de sa maîtresse qui exigea aussitôt que le comte de Maurepas, mortifié, vienne en personne lui signifier son retour à la Cour. La pauvre duchesse n’eut pas le triomphe durable puisqu’elle s’alita à son tour et succomba le 8 décembre 1744. Le Roi se retrouva seul avant qu’une beauté splendide, douée de tous les talents ne l’étourdisse à son tour, elle s’appelait Jeanne-Antoinette Poisson, épouse de Charles-Guillaume Lenormant d’Etiolles depuis 1741, future marquise de Pompadour (photo n°3). C’est avec elle que la postérité a retenu les quolibets et les chansons du nom de « Poissonnades » qui fleurirent durant son règne. Ce qui choqua dans la liaison qu’elle entama avec le Roi à partir de 1745, ce n’est pas qu’elle permit au maréchal de Richelieu de rentrer en grâce ainsi qu’à la fameuse Mme de Tencin et à son frère le cardinal, mais plutôt qu’elle était une bourgeoise apparentée aux hommes d’affaires et financiers les frères Pâris (Joseph, dit Duverney, 1684-1770 et Jean, dit de Montmartel, 1690-1766) ; la Pompadour à la Cour, c’était une révolution bourgeoise qui bouleversait et ses mœurs et ses règles et, à partir de la paix d’Aix-La-Chapelle (1748), une politique jugée honteuse et déshonorante pour la France. Ce cocktail explosif de reproches trouva à tort et à raison dans la marquise de Pompadour un bouc-émissaire idéal. Sur l’air des Trembleurs, on fustigeait dans cette chanson de 1749 à la fois son règne et le règne :
« Les grands seigneurs s’avilissent/ Les financiers s’enrichissent,/ Tous les Poissons s’agrandissent:/ C’est le règne des vauriens./ On épuise la finance/ En bâtiments et en dépense ;/ L’Etat tombe en décadence,/ Le roi ne met ordre à rien, rien, rien.
Une petite bourgeoise/ Elevée à la grivoise,/ Mesurant tout à la toise/ Fait de la Cour un taudis./ Le roi, malgré son scrupule,/ Pour elle follement brûle ;/ Cette flamme ridicule/ Excite dans tout Paris, ris, ris, ris.
Cette catin subalterne/ Insolemment le gouverne/ C’est elle qui décerne/ Les honneurs à prix d’argent./ Devant l’idole tout plie, le courtisan s’humilie ;/ Il subit cette infamie,/ Et n’est que plus indigent, gent, gent, gent »
On soupçonna Maurepas, disgracié cette année-là de ces rîmes insultantes bientôt attribuées à un certain Chevalier de Resseguier, embastillé pendant vingt ans :
Autrefois de Versailles/ Nous venait le bon goût./ Aujourd’hui, la canaille/ Règne et tient le haut bout./ Si la Cour se ravale/ De quoi s’étonne-t-on ?/ N’est-ce pas de la halle/ Que nous vient le poisson ?
La marquise de Pompadour réussit ce tour de force inédit dans l’histoire de la monarchie : celui de n’avoir été qu’une piètre amante pour le Roi et de s’être maintenue au pouvoir pendant près de vingt ans. Elle s’employa à écarter les rivales et à satisfaire l’appétit de Louis XV en devenant une sorte de surintendante de ses plaisirs. Une épitaphe satirique à sa mort résume ainsi son règne :
« Ci-gît qui fut quinze ans pucelle,/Vingt ans putain, puis huit ans maquerelle »
La mort de la Pompadour en 1764, au-delà de son bilan, de son œuvre magistrale en tant que mécène et de son influence plutôt négative durant la catastrophique guerre de Sept Ans (1756-1763), ne changea pas le cours des choses. L’irruption d’une nouvelle favorite était inévitable. D’une extraction obscure, Jeanne Bécu, future comtesse Du Barry (photo n°4, Madame Du Barry par Elisabeth Vigée Le Brun), fut « proposée » par Jean-Baptiste Du Barry, dit le Roué (1723-1794) à Louis XV par l’intermédiaire le maréchal de Richelieu. La Du Barry sut vaincre la concurrente présentée en 1768 par le duc de Choiseul en la personne de sa propre sœur, la duchesse de Gramont ! Bientôt mariée au frère de Jean-Baptiste Du Barry, Guillaume (1732-1811) le 1er septembre 1768, elle fut introduite officiellement à la Cour en avril 1769. Sur l’air de : La Bourbonnaise, on s’émerveillait de la dernière conquête du Roi et surtout de son savoir-faire :
« Quelle merveille !/ Une fille de rien,/ De rien,/ Quelle merveille !/ Donne au roi de l’amour,/ Est à la cour.
Elle est gentille,/ Elle a les yeux fripons,/ Elle a les yeux fripons./ Elle est gentille,/ Elle excite avec art/ Un vieux paillard.
En maison bonne,/ Elle a pris des leçons,/ Elle a pris des leçons,/ En maison bonne,/ Chez Gourdan, chez Brisson,/ Elle en sait long.
Que de postures !/ Elle a lu l’Arétin,/ Elle a lu l’Arétin/ Que de postures !/ Elle sait en tous sens/ prendre les sens.
Le Roi s’écrie:/ – Sangé ! Le beau talent !/ Sangé le beau talent !/ Le Roi s’écrie : – Encore aurai-je su/ Faire un cocu.
Viens sur mon trône,/ Je veux te couronner,/ Je veux te couronner,/ Viens sur mon trône,/ Pour sceptre prend mon v…/ Il vit, il vit »
Louis XVI, un roi sans maîtresse, Marie-Antoinette, une maîtresse pour reine
De maîtresses, Louis XVI (1774-1792) n’en eut pas, tandis qu’il eut une reine de plein exercice et en pleine lumière. Brillante, dépensière, n’aimant pas l’Etiquette, elle s’affranchit de la Cour avant d’être rattrapée par une opinion qui l’accusa de tous les maux. Madame Déficit, comme on l’appela durant la Révolution française subit la pluie torrentielle de critiques qui s’abattit sur l’Ancien Régime. Ce n’est pas la maîtresse du Roi qui était une catin, mais bien la Reine qui n’était pas mise de côté, comme celles qui l’avaient précédée. Les chansons ne sont donc pas en reste et les citoyens entendent autant juger le roi citoyen qu’ils ont ramené à Paris en octobre 1789, qu’enfermer l’Autrichienne dans un couvent. Sur l’air de : complainte de Marie Stuart, cette chanson s’appelle la complainte de Marie-Antoinette :
De votre Reine infortunée,/ Français, écoutez les remords./ A la coupable destinée,/ Demandez raison de mes torts./ Près de mon palais solitaire,/ Autrefois, plein de faux amis,/ Du peuple, j’entends la colère,/ Il m’accuse, et moi, je gémis. (bis).
A tous les coups, mon âme est prête,/ Mais… où m’entraînent ces bourreaux ?/ Où suis-je ?… j’entends sur ma tête/ Se croiser le diadème,/ Un voile est posé sur mon front,/ Je vais donc survivre à moi-même ?/ Non, je mourrai de cet affront (bis)
A travers les maîtresses et les favorites, ce ne sont pas simplement les femmes qui étaient visées, quoique Jean-Jacques Rousseau se plaigne qu’elles étaient trop élevées au sein du pouvoir, dévirilisant en quelque sorte la fonction royale ; ce sont les interactions coupables qui ébranlaient la fonction sacrale et absolue de la monarchie dont les chansons se faisaient sévèrement l’écho.
A suivre part. 4, Les ministres
Frédéric Bidouze