L’expression « la queue d’un parti ou d’un homme» est demeurée dans le langage courant une formule péjorative désignant les restes d’une idéologie ou les derniers partisans d’un leader oublié.
Tout le monde n’était pas pour lui ? Osez-vous nier le fait ? Comptait-on pour républicains, ces hommes qui avaient le courage de crier à la tyrannie ! C’était des aristocrates, des ennemis de la Liberté ! A peine avaient-ils proféré leur opinion, que soudain un cachot était leur récompense.
Réponse à la queue de Robespierre par un franc républicain, 1794
Il y a dans cette interpellation pamphlétaire de l’automne 1794, toute l’évocation des difficultés qui surviennent au lendemain de l’exécution de Maximilien Robespierre le 28 juillet de la même année. La Terreur et les terroristes ont-ils pour autant disparu ? La France en a-t-elle terminé avec ce régime discrétionnaire ?
Après plusieurs mois à la tête du gouvernement révolutionnaire et inspirateur de la dictature du Comité de Salut Public, Maximilien Robespierre (1759-1794) assuma jusqu’au bout les contradictions d’un régime violent et liberticide associé à une exigence de vertu révolutionnaire (photo n°1). Face à ceux qui voulaient au cours des mois de juin-juillet 1794 relever le glaive de la guillotine, il persista jusqu’au bout à poursuivre les ennemis de la Révolution en proclamant que « La véritable victoire [était] celle que les amis de la liberté remportent sur les factions » (9 juillet). On sait peu que le mouvement qui fit tomber Robespierre le 27 juillet (9 Thermidor de l’an II) prit naissance au sein même du personnel qui œuvrait depuis des mois au service de la Terreur. Robespierre était la base du gouvernement terroriste, responsable des exécutions en chaîne des derniers mois, et ce sont les députés de la Convention qui l’ont abattu. Le 26 juillet (8 Thermidor), Robespierre intervint après plusieurs jours d’absence à la tribune. Il dénonça pêle-mêle tous ses ennemis et notamment Joseph Cambon (1756-1820), chargé des finances, soupçonné de revenir à des pratiques de l’Ancien Régime. Il fit monter la crainte chez ceux qui se sentaient visés et parvint même à réconcilier des ennemis d’hier. Encouragés par les initiatives de Joseph Fouché (1759-1820), futur ministre de Napoléon et responsable des tueries de Lyon au cours de l’été 1793 ainsi que de Jean Lambert Tallien (1767-1820) responsable des pires excès en Gironde la même année, les conventionnels se retournèrent en quelques heures contre le « tyran » .
« Si Danton a peut-être été guillotiné par le fanatisme, Robespierre a sans nul doute été guillotiné par des coquins »
André Malraux, préface de Saint-Just ou la force des choses, d’Albert Ollivier, 1954
Décrété d’accusation, arrêté par la garde de la Convention avec 21 autres dont son frère Augustin (1763-1794), Louis-Antoine de Saint-Just (1767-1794) ou Georges Couthon (1755-1794), Robespierre fut pendant quelques heures secouru par les sectionnaires parisiens et se réfugia aux Tuileries. Paralysé par la situation et refusant toute initiative, Robespierre fut surpris par les troupes de la Convention le 10 Thermidor vers deux heures du matin. Touché par une balle de pistolet à la mâchoire qu’il se tira lui-même ou agressé certainement par le fameux gendarme Merda, il fut conduit à l’échafaud de manière précipitée devant une foule excitée de joie à l’idée d’assister à ce spectacle et pressée de ne plus avoir peur. Les jours suivants ce furent 86 Robespierristes qui subirent à leur tour le supplice de la guillotine (photo n°2). Au lendemain de cette vengeance spontanée, les révolutionnaires se mettent à réfléchir sur la notion de « système de la terreur » ; tous y vont de leurs dénonciations, y compris ceux qui avaient le plus trempé dans le sang. Jean Lambert Tallien propose même dans son discours du 11 Fructidor (28 août) une interprétation très ambigüe et abstraite de ce système qui a dénaturé la Révolution en engendrant la peur. Cette manœuvre politique de disculpation au profit de la leçon philosophique ne dupa personne et surtout pas ceux qui avaient eu à souffrir politiquement et humainement de la Terreur.
Vous pouvez couper ma tête mais je vous ai laissé ma queue !
C’est en vertu de cette phrase que Robespierre aurait prononcé à son bourreau avant son exécution (logiquement apocryphe étant donné ses graves blessures) que par l’entremise de journalistes et de contre-révolutionnaires, la presse entame l’instruction d’un procès : celui du sommet de la Terreur. La « queue » devient un supplétif des hommes d’œuvre, de ceux qui ne devaient pas échapper à un procès, tels les responsables des pires massacres des derniers mois. Un libelle du 26 août intitulé « La queue de Robespierre ou les dangers de la liberté de la presse » (Jean-Claude Hyppolite Méhée de La Touche, 1760-1726) affirmait :
Il n’était pas possible que Robespierre eût fait tout le mal tout seul
Le texte tiré à des milliers d’exemplaires énumérait les noms de ceux qui formaient la queue de ce reptile sanguinaire : Bertrand Barère (1755-1846), Jean-Marie Collot d’Herbois (1749-1796), Jacques-Nicolas Billaud de Varenne (1756-1819). Ces personnages éminents du gouvernement révolutionnaire furent inquiétés par la suite mais sauvés de la mort, tout juste furent-ils dans un premier temps incarcérés à l’île d’Oléron en 1795. La « queue de Robespierre » entamait là une carrière pamphlétaire extraordinaire au service de ceux qui réclamaient la liberté de la presse et la justice. Une trentaine de pamphlets brodèrent sur ce thème comme « L’Avis aux successeurs de Robespierre ou plan de conduite pour tous les anneaux de la queue » ; « Jugement du peuple souverain qui condamne à mort la Queue infernale de Robespierre » ; « Pierre de touche jetée sur les conspirateurs ou suite à la queue de Robespierre » ; « La tête à la queue ou première lettre de Robespierre à ses continuateurs », etc (photo n°3). Cette campagne d’opinion déclencha des débats à l’Assemblée qui firent ressortir les contradictions insolubles de la Révolution depuis ses débuts. Face au danger contre-révolutionnaire, certains comme le député Jean-Bertrand Féraud (1759-1795), grand artisan de la chute de Robespierre, estiment que « c’est la Révolution qui est inculpée » ; d’autres, encore plus pressés de jeter un voile s’interrogent, comme le député Louis Legendre (1752-1797) : devrait-on poursuivre aujourd’hui « ceux qui ont brûlé les châteaux au début de la Révolution ou faire le procès de la journée du 10 août [1792, déposition de Louis XVI] ? ».
Il y aura bien des procès au cours de l’automne et ils poseront que très imparfaitement la question des responsabilités en menant à l’échafaud l’un des plus grands ordonnateurs de tueries de la Révolution : le bourreau de la Vendée, Jean-Baptiste Carrier (1756-1794), celui-là même qui « expérimenta » des méthodes d’élimination comme les fameux « bateau à soupape » de Nantes ou les « mariages républicains » qui consistèrent à noyer des couples dénudés dans la Loire. Marie-Joseph Chénier, dans son Ode à la calomnie en réponse à la queue de Robespierre venge, quant à lui la mémoire de son frère André, le poète, exécuté le 25 juillet et souhaite une régénérescence de la République sans tyran:
Et que Robespierre et complices/ Puissent, percés du même trait,/Dans l’oubli finir leur carrière/ Et dans la plus vile poussière/ Expier le mal qu’ils ont fait !
D’autres encore comme dans « La réponse à la queue de Robespierre par un franc républicain », en appellent à l’oubli :
De grâce, laissez désormais en paix le cadavre de Robespierre
Mais derrière cette justice plus qu’imparfaite, derrière cette Révolution entachée de sang innocent (photo n°4), les contre-révolutionnaires et Muscadins (Jeunesse dorée antijacobine après Thermidor), nouveaux rois de Paris, s’en donnent à cœur joie et la queue « agonisante » de Robespierre qui a produit de nombreux rejetons a toujours selon eux une semence abondante ; on la conjugue sur tous les tons et on se venge des jacobins qui en 1789 conspuaient l’hydre aristocratique coupable des plus grands abus. L’agent royaliste Ange Pitou (1767-1846) rendu célèbre par Alexandre Dumas écrit même un vaudeville sur l’air de Cadet Roussel, dans lequel il associe le cadavre de Robespierre au plaisir des sens ; dans La Queue, la tête et le front de Robespierre, il compare le sexe du tyran avec l’instrument de la jouissance des femmes, mais une jouissance dans et par la douleur :
Que cette queue à la Robespierre/ Dans le sang aime se grossir/ Serrez-la fort toute entière/Vous sentez naître le plaisir./ De l’égorgeur la queue immonde
Cette gauloiserie débutait de façon aussi scabreuse :
Voici la queue de Robespierre,/Nous dit certain pamphlet du jour ;/Voulez-vous voir sa tête altière,/Répond le voisin à son tour./La tête, la queue et le reste/Sont bons à fumer mon jardin ;/Suivant le proverbe, j’atteste/Que dans la queue est le venin.
Ainsi, par « la queue de Robespierre », s’inscrivit dans la mémoire publique la métaphore d’une révolution coupable des pires crimes et atrocités ne pouvant plus se réclamer des Lumières. Coupons-lui la queue ! ou Rendez-moi ma queue ! devinrent des slogans réclamant l’entière liberté de la presse sur fonds de plaisanterie libertine. Cauchemar de toutes les Révolutions, les lendemains de crimes au nom de la liberté remuent encore les queues qui n’en finissent pas de s’étirer jusqu’à ce que, bien vite on renonce aux chimères.
Frédéric Bidouze