La France qui réunit les États généraux le 5 mai 1789 (Photo n°1) et déclenche le plus formidable mouvement révolutionnaire de l’époque, est une France à bien des égards très dynamique, pleine de génie et d’initiatives. Elle offre néanmoins une immense incapacité à se réformer et y parvenir « en douceur » sans remettre en cause de fond en comble une société et un pouvoir millénaires qui ne pouvaient se laisser faire sans broncher. Le Roi, la Cour, l’aristocratie, les institutions diverses du royaume, les villes et le clergé avaient tous à protéger des prérogatives et des privilèges tandis qu’ils ne manquaient pas tous, loin de là, d’idées nouvelles appelées à un grand avenir. C’est à l’occasion d’une énième crise incapable de débloquer une situation dramatique, notamment financière, que le roi Louis XVI décida de réunir les États généraux lors de l’été 1788. Par cet appel qui supposait également que les Français expriment des doléances dans des cahiers lors d’une campagne électorale inédite et passionnée, Louis XVI entrait dans la modernité par une porte qu’il croyait dérobée : celle qu’il pouvait ouvrir et fermer lui-même, sans autre compte à rendre qu’à Dieu. On sait qu’il n’en fut rien et qu’en quelques semaines ces États généraux se transformèrent en Assemblée nationale constituante (9 juillet) en désobéissant sans cesse à leur roi, en bouleversant les hiérarchies d’un monde féodal finissant afin d’établir de nouveaux droits individuels et une constitution. La monarchie constitutionnelle qu’on croyait de bonne foi s’instaurer durablement, ne manqua pas de malentendus car elle fut plutôt comme le souligna un siècle plus tard Auguste Comte, « une monarchie sans roi », abandonnant de force les pouvoirs réels à une Assemblée souveraine sous le regard scrutateur de l’opinion.
Un Journal « sur le vif » d’une actualité qui se fait
D’autres époques jusqu’à aujourd’hui connaissent ce genre de contraste, si grand qu’invisible aux yeux des contemporains qui le vivent, écartelés entre leurs espoirs de changement et leur crainte de briser complètement le monde dans lequel ils sont nés. Tel est en filigrane la grille de lecture du témoignage d’Adrien-Cyprien Duquesnoy (1759-1808, photo n°2), témoignage au jour le jour, adressé à des amis de Nancy (comme ses premiers commettants), neuf, évolutif, tour à tour volontaire, enthousiaste puis inquiet, effrayé devant un monde qui bouge et dont il est l’un des acteurs, devant un basculement qui le dépasse très souvent avec effroi. Les témoignages directs de l’événement qui allait ébranler la France et même le monde sont relativement rares et sont souvent pollués par une volonté de raconter « après coup » les événements comme une justification de ce qui fut considéré comme irréversible. Le Journal de Duquesnoy a cette particularité d’être rédigé par un personnage secondaire, plutôt spectateur qu’acteur, plutôt commentateur qu’agitateur. Il écrit notamment sur le vif, prêt à ce que l’avenir le contredise ceci : « Je vais essayer, dans ce numéro, donner une idée juste de la position où nous nous trouvons ; ce que je dirai est le résultat des observations faites avec soin et impartialité ; je hasarderai ensuite quelques conjectures. Je désire que nos amis lisent cette note avec un peu de soin, et qu’elle soit conservée jusqu’à que le temps et les événements auront détruit ou fortifié mes craintes » (22 mai). Très inquiet de la tournure des événements, Duquesnoy ne se remet jamais de cet emballement auquel il assiste et quoique bel esprit, il est toujours aux aguets, très tourmenté, là ou d’autres comme les grands leaders (Mirabeau, Sieyès, Bailly, etc) sont tour à tour audacieux, irrévérencieux et « révolutionnaires ». Là réside l’intérêt de son récit qui commence le 3 mai 1789 et qui se termine le 3 avril 1790.
Un jeune avocat, propriétaire terrien, un brin anticlérical et très critique
Élu député du Tiers-état de Bar-Le-Duc (futur département de la Meuse), Adrien Duquesnoy a à peine trente ans. Comme nombre de ses collègues, il a l’ardeur de ces jeunes gens qui vont devenir les grands orateurs de la future assemblée, le comte de Mirabeau (1749-1791), du haut de ses 40 ans faisant figure « d’ancien » (Photo n°3). On oublie que les élections aux États généraux de 1789 furent les plus ouvertes jusqu’au milieu du XIXe siècle (pas de limite d’âge ni de résidence et donc de cens) et que les députés n’étaient pas tenus de représenter leur ordre « naturel ». Duquesnoy est avocat, parmi 181 des membres du tiers état ou qui se qualifient comme tels, mais il est surtout propriétaire terrien avant tout, soucieux d’une bonne administration qu’il compte, comme beaucoup retrouver bien vite après les États généraux. Soucieux de maintenir la cohésion sociale par la religion, Duquesnoy cède néanmoins comme nombre de ses collègues, du tiers état et même de la noblesse, à des tendances anticléricales. Lorsqu’une vingtaine de curés rejoint le tiers état en juin, Duquesnoy écrit : « On n’a pas idée de l’importance ridicule qu’on attache à cette recrue » (16 juin). Politiquement, il est un homme de son temps, très informé et très critique, notamment quand il parle du roi. Dès le 22 mai, après que son discours du 5 mai ait déçu l’ensemble des députés du tiers état par sa timidité et son absence de décisions allant dans le sens de réformes constitutionnelles, il écrit : « L’extrême faiblesse du gouvernement a été cause que tous les pouvoirs ont été rompus, tous les liens qui attachent les hommes dissous, et le Roi a perdu entièrement son autorité. C’est dans cette circonstance, c’est lorsque tous les corps, tous les ordres, réuni contre l’autorité, cherchent chacun de leur côté à s’élever sur les ruines contre l’autorité, que l’on convoque les États [généraux] ». Face à cet effondrement, Duquesnoy n’est pas prêt à s’engager dans une brèche inconnue ; il fait montre d’une prudence et même d’une certains volonté de freiner le cours des événements. Il écrit que c’est le manque de fermeté dans les décisions et même dans l’absence de censure à l’égard des « écrits incendiaires » que les esprits s’échauffent. Quand les députés exigent le vote par tête (et non par ordre) afin de faire pencher la balance en faveur du tiers, il se demande s’il n’est pas préférable d’ajourner pour un temps les États généraux, craignant une guerre civile (15 mai).
Un modéré qui assiste à la tempête
On sait qu’il n’en fut rien et que les députés du tiers état, entraînés par des orateurs charismatiques et audacieux, n’ont pas voulu différer mais ont agi afin de « couper le cable » selon l’expression de l’abbé Emmanuel-Joseph Sieyès (photo n°4) qui les retenaient dans un système ancien de représentation ; ils ne voulaient plus qu’on les consulte, mais que les Communes comme ils se sont proclamés, décident au nom de la Nation, de l’impôt et d’une future constitution. Les événements jusqu’à la prise de la Bastille et l’intervention de la rue ont tous poussé à la roue, sans possibilité de retour en arrière. C’est cette angoisse qu’Adrien Duquesnoy traduit dans son Journal, celle du passage forcé d’un temps qui n’est déjà plus à un autre qui est à faire.
Toute révolution, dans sa radicalité, se fait par l’audace de quelques-uns, où les états d’âme ne comptent plus, où la méthode ne respecte pas les codes traditionnels, notamment ceux du respect de l’Ordre. Face à l’emballement général, Duquesnoy proteste contre les meneurs qui n’attendent qu’une chose : mettre le feu à leur province. Il s’inquiète des conséquences sociales d’une situation politique qui ne devrait pas dégénérer en écrivant : « L’autorité, tous les ressorts sont relâchés, tous les principes de subordination sont oubliés, et un vil coquin comme Mirabeau ose accuser publiquement un ministre du Roi d’impéritie, de crime, de faux » (22 mai). Pour Duquesnoy, la faiblesse chronique du Roi et du gouvernement ne doit pas entraîner le royaume dans l’anarchie, par la faute de quelques-uns de ses collègues qu’il méprise. Il estime qu’au plus près de la scène pour juger, il ne voit pas « sans une terreur profonde la destinée qui attend la nation ». Il avoue sans complexe n’avoir « aucune opinion pour ou contre aucun ordre » et lorsque ses collègues qui partagent ses idées de réformes deviennent évolutionnaires, lui demeure paralysé par la crainte. Lorsque le 28 mai les députés de la noblesse refuse définitivement le vote par tête et demande l’arbitrage du roi, elle s’aliène l’hostilité grandissante de l’opinion et renforce le consensus autour du Tiers, Duquesnoy est bien obligé de constater : « Jamais, la haine contre cet ordre le mécontentement […] ne s’est aussi clairement manifesté ».
Le serment du Jeu de Paume (20 juin), un étonnant témoignage « au vrai »
La manière dont Adrien Duquesnoy rapporte le fameux serment du jeu de Paume du 20 juin est encore emblématique de son état d’esprit frileux mais lucide. On sait que le 23 juin Louis XVI devait faire un discours devant tous les députés pour exposer son point de vue face à la crise, que la salle des Menus Plaisirs dans laquelle les députés du Tiers avaient l’habitude de siéger était en plain travaux lorsque et que ces derniers, comme pour se souder, se réunirent à l’improviste dans la salle du Jeu de Paume sur l’indication du docteur Joseph-Ignace Guillotin (1738-1814). Entré dans la légende, cet événement a servi la cohésion d’un groupe emmené par certains exaltés qui forgèrent une unité face à l’adversité de la Cour et du gouvernement. Là, devant une foule de badauds et sur la proposition de Jean-Joseph Mounier (1758-1806) les députés prêtèrent le serment civique le plus célèbre qui devait parer le coup de force royal pressenti par tous (Photo n°5):
« Nous jurons de ne jamais nous séparer…et de nous réunir partout où les circonstances l’exigent, jusqu’à ce que la constitution du royaume soit établie et affermie sur les fondements solides ».
Le lendemain, le récit d’Adrien Duquesnoy est très circonstancié. Une fois le serment signé, il décrit les différentes motions qui lui paraissent violentes, notamment celle proposée par un député qu’il trouve trop exalté, Isaac Le Chapelier (1754-1794, photo n°6). « Il faut attendre l’événement [le discours du Roi du lundi 23] pour prendre parti », écrit-il, avant de plonger dans une immense angoisse : « Il existe de toutes parts une telle animosité, une volonté si ferme de faire prévaloir son opinion, des engagements si solennels, qu’il ne faut pas moins que la Providence pour arracher le royaume à l’horrible crise qui le menace ». Il exprime alors cette étonnante lucidité qui fait de lui beaucoup plus un journaliste assez impartial qu’un député révolutionnaire: « C’est une chose inconcevable que l’extrême facilité avec laquelle a été prêté et signé le serment de ne jamais se séparer. Il est évident que c’est s’emparer de l’autorité, ôter au Roi le droit de dissoudre ou suspendre les États, se rendre maître dès lors de la puissance exécutrice ; il est évident que chacun des membres s’expose personnellement aux plus grands dangers, soit de la part du Roi irrité, soit de la part du peuple, las de porter le joug que vont lui imposer les communes, et désespéré de ne pas recueillir des États le fruit qu’il en attendait ». Cette présence de la rue, il la sent sourdre avec d’autant plus d’inquiétude, qu’il estime que ses collègues sont complices de sa force et de son influence grandissante. Il est sans pitié lorsqu’à chaud il rend compte de l’atmosphère délétère et irresponsable selon lui :
« C’est une chose affreuse à dire, mais elle n’est malheureusement que trop vraie ; les idées les plus exagérées, les propositions les plus incendiaires, rien n’étonne aujourd’hui dans la salle. Il me paraît évident que l’Assemblée est conduite par une dizaine de personnes dévorées par une ambition profonde et sourde, avides de renommée et déterminées à en acquérir à quelque prix que ce soit. Ces hommes n’ont aucune espèce de morale et de principes, rien ne les arrête ; aucun droit, aucune propriété ne leur paraîtront sacrés, et l’égalité naturelle, la loi naturelle, sont les mots dont ils se sont servis pour séduire et entraîner à eux quelques faibles, qu’ils ont illuminés. Beaucoup n’osent, par timidité, s’opposer à leur fureur, et l’exagération même de leur audace, la hardiesse avec laquelle ils calomnient, déchirent, fait leur sûreté. Ainsi une assemblée de 600 personnes, parmi lesquelles il y en a beaucoup d’éclairés, le royaume entier, sont à la merci de quelques scélérats, à qui les plus grands crimes ne sont qu’un jeu ».
Il témoigne en citant des échos des phrases de colère qui fusent comme :
Ce n’est qu’en traversant à la nage des fleuves de sang qu’on peut devenir libres.
Mes ordres sont donnés ; demain toutes les vitres des magistrats seront cassées.
Que peut-il nous arriver pis que la mort ? Périssons s’il le faut, mais périssons avec gloire.
Il rend compte de la protestation du député Joseph Martin-Dauch (1741-1801, photo n°7 sur la gravure de Jacques-Louis David, il est assis à droite dans une attitude d’abattement), le seul à avoir bravé ce serment d’un nouveau genre afin de ne pas désobéir au Roi. Duquesnoy remarque admiratif ce « résistant » : « Il faut avouer que cet homme faisait une folie, car il valait mieux ne pas signer que signer seul avec protestation dans une assemblée excessivement intolérante, où les opinions ne sont pas libres, où l’ont tient note de ceux qui ont un avis différent de celui de la majorité pour les diffamer, où la modération est un crime, où la sages est odieuse et où cinq ou six personnes en oppriment 580 [le nombre de députés du Tiers], en leur parlant sans cesse de liberté ». En d’autres termes, Duquesnoy avoue sa faiblesse voire sa poltronnerie en avouant déjà les affres des assemblées révolutionnaires en ébullition…
Tel un chroniqueur à l’écart de l’action il termine par ces mots : «Ainsi tout tend à une crise terrible. Où s’arrêtera le peuple ? Où s’arrêteront les communes ? Que fera le Roi ? Que deviendra la France entière ? C’est ce qu’on ne peut prévoir » (21 juin).
Ce monde semble ne plus lui correspondre… et pourtant, Adrien Duquesnoy s’accroche et poursuit son mandat. La raison en est que Louis XVI cède bien vite et demande à la noblesse de rejoindre le tiers état ce qui est fait le 27 juin. Le jeune avocat est soulagé et même joyeux : « C’était un spectacle à la fois bien touchant et bien auguste, que celui de ces braves et vertueux chevaliers qui venaient s’asseoir au sein d’une nation habituée à les honorer […] La noblesse française va se couvrir d’une gloire immortelle ». Duquesnoy retrouve l’espoir, celui d’une nation unie autour de son Roi.
Le 14 juillet et la prise de la Bastille, seule la victoire est belle?
L’épreuve de force qui a depuis le début choqué Adrien Duquesnoy, vis-à-vis de laquelle il a toujours voulu s’exonérer, le jeune avocat doit désormais l’accepter. Il est en révolution lorsqu’il constate le lendemain de la prise de la Bastille (Photo n°8) qu’on a renvoyé le ministre le plus populaire, Jacques Necker, que les armées du Roi ont menacé Paris et donc la liberté de l’Assemblée comme la liberté individuelle : « … les ministres nous font une réponse de sang ; loin d’être effrayés, nous déclarons responsables des événements les auteurs de tels forfaits, nous imprimons sur eux une note d’infamie éternelle. On nous refuse la milice bourgeois, et bientôt le peuple sait l’établir lui-même » (15 juillet). Duquesnoy n’est pas révolutionnaire au sens où on l’entendra, il le « devient » comme le décrit magistralement l’historien américain Timothy Tackett pour l’ensemble de ses collègues (Par la volonté du peuple. Comment les députés aux États généraux sont devenus révolutionnaire, Albin Michel, 1997). Lui qui demeurait circonspect voire hostile à l’égard de l’audace de députés excités, il ne s’appartient plus mais adhère au groupe dans l’adversité : « … et notre union se cimente ». Il croit à ce moment-là à la traditionnelle réaction contre le despotisme ministériel et se félicite que « la noblesse, qui jusque-là n’avait pas pris de parti, fait abjuration de ses odieux cahiers et se réunit à nous [au Tiers] ». Il a le vertige « Comme tout change, comme tout se succède » (15 juillet). Il ne veut plus s’en laisser compter et ne croit pas aux propos rassurants de Louis XVI ; lorsque le 15 juillet, il s’apprête à faire partie d’une délégation pour aller le voir à Versailles, il a la surprise de le voir arriver en personne « seul, escorté de ses vertus » puis de s’installer avec ses deux frères pour tenir des propos rassurants. Il est satisfait, s’empresse de décrire après avoir été à l’Hôtel de ville assister aux discours du général La Fayette, futur commandant de la Garde nationale, « cette journée, qui très certainement [est] la plus belle que puisse jamais voir un homme qui a contribué en quelque chose à opérer une telle révolution ; les paroles ne peuvent pas les rendre, et maintenant même je puis à peine m’en rendre compte à moi-même ». Il en connaît une deuxième, deux jours plus tard, le 17 juillet, lorsque le roi se présente à l’Hôtel de ville, reconnaît la Garde nationale et la mairie de Paris.
Comme nombre de députés, malgré la domination écrasante de quelques-uns à peine de ses collègues, il ne peut qu’être fasciné par la nuit du 4 août qui abolit les privilèges, détruit toute la structure d’une société millénaire (Photo n°9). Il décrit comme beaucoup d’autres l’ont fait, ces discours chaleureux au cours desquels des nobles ont abandonné leurs privilèges en cascade. « Nous avons fait dans six heures, ce qui devait durer des mois, ce qui nous effrayait ; quel puissant moyen de faire taie les incendiaires et les déclamateurs [Les émeutes de l’été qui pillaient et brûlaient les châteaux] ! Il m’est impossible d’écrire ; je suis trop agité par tous ces sentiments » (5 août) Lui d’habitude si observateur et critique, cède à l’euphorie : « On pleurait, on s’embrassait. Quelle nation ! quelle gloire ! quel honneur d’être français » (5 août).
Une révolution qui ne se termine pas et des députés qui se déterminent
On sait que pendant ce temps Louis XVI n’acceptait aucun des décrets comme celui du 4 août ou comme celui de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août, perdu à Versailles, tandis que sa noblesse comme l’un de ses frères d’ailleurs avaient déjà quitté le royaume. Adrien Duquesnoy apparaît clairement comme un modéré, se satisfaisant d’un droit de veto suspensif accordé au Roi qui lui permettrait pendant deux législatures de ne pas sanctionner une loi avant qu’une troisième l’y force. On avait le temps et cette option semble rassurer cet inquiet, un veto qui « a tous les avantages du veto absolu [préserver un pouvoir fort] et n’a aucun de ses inconvénients [donner tous les pouvoirs à l’Assemblée] » (21 septembre). Il avait même imaginé de « suspendre » un temps le roi afin de lui remettre tous ses pouvoirs une fois l’Assemblée confortée. Il avait confiance en lui et qui estimait que le calme était revenu, « qu’il n’y a aucun peuple qui se plaise dans le désordre et l’anarchie « et que l’on sent maintenant « le besoin d’une force suffisante pour contenir tous et chacun dans les bornes que leur prescrit le devoir et que commande l’intérêt commun » (21 septembre). Ces propos n’ont rien de convenu, ils expriment l’espoir d’un homme très modéré, fidèle à son roi, bel esprit mais un esprit en passe de se métamorphoser en politique, devenant peu à peu pragmatique dans l’arène, une arène dans laquelle le roi ne comptait plus guère.
Lorsque le 5 octobre, les femmes des halles de Paris entraînent une cohorte de Parisiens réclamer du pain à Versailles, l’initiative dégénère en invasion du château qui fait des morts et menace directement la famille royale (Photo n°10). Des rumeurs de contre-révolution avaient couru comme quoi la reine aurait au cours d’un bal, foulé la cocarde tricolore et avec les officiers du régiment des Flandres, brandi la cocarde noire. Vrai ou faux, le bruit et la faim avaient fini par convaincre que le peuple devait se faire entendre du roi et qu’il se devait d’être auprès de lui, à Paris. Adrien Duquesnoy s’est déjà acclimaté à la rue qui sait montrer, sans préméditation, sa colère quand les rois ne sont pas dignes de lui. « Que l’on pense à cette voiture, précédée des gardes du corps, escorté par un détachement de grenadiers si nombreux qu’à peine on pouvait le voir, accompagnée de gardes du corps prisonniers, suivis d’un train d’artillerie, et allant de Versailles à Paris en six heures de marche ! Qu’on pense à ce très étonnant spectacle et qu’on dise si l’histoire en offre un pareil ! Et celui que renferme cette voiture était le roi de France… ! Certes, il paie les fautes de ses ancêtres, il expie durement son défaut de caractère. Triste et mémorable leçon pour les rois ; la bonté ne leur suffit pas, il leur faut des vertus, il leur faut du caractère… ». Duquesnoy, désormais avait grandi. Prêt à se déterminer dans l’arène politique
Adrien Duquesnoy ou la métamorphose d’un député qui est « devenu » révolutionnaire
Revenant qui la question du Roi qu’il avait proposé de « suspendre » afin de lui rendre une couronne « plus brillante », Adrien Duquesnoy reconnaissait ceci le 22 février 1790 montrant à quel point il avait mûri en moins d’une année : « Je sais bien que cette conception très hardie était faite pour effrayer des esprits timides, des hommes qui ne voient qu’à demi et qui ne sentent pas que ce n’est que par la force qu’on opère une révolution, parce que c’est le seul moyen d’écarter les ambitieux et d’encourager les faibles ». Adrien Duquesnoy est désormais parmi les hommes nouveaux auprès de ses collègues avec qui il discute et dispute, même le grand Mirabeau dont il fait régulièrement l’éloge et tous les autres en qui il voyait uniquement des monstres d’orgueil et d’ambition. Il est de ceux qui désapprouvent les Jacobins tout en demeurant à la gauche modérée de l’Assemblée. Vite débordé, Duquesnoy reste fermement convaincu que là se situe le vrai parti populaire, celui qui ne suit pas les humeurs de la foule mais qui remplit « le plus saint de tous les devoirs pour les législateurs, celui de protéger les propriétés ». Il voulait terminer la Révolution, une révolution qu’il avait vu naître à ses début, plein d’inquiétude et d’effroi.
Sa carrière de constituant fut très active ; il prend souvent la parole, souvent de manière modéré, proche de Mirabeau de plus en plus engagé auprès de la famille royale. Tour à tour soucieux de l’ordre mais favorable à la Constitution civile du clergé qui divise les Français et meurtrit le Roi, Duquesnoy quitte l’Assemblée à la fin de la législature en septembre 1791 après la proclamation de la première constitution. Il regagna Nancy et en devint le maire pendant dix mois au cours desquels il se débattit avec une opinion rebelle car il contribua à la destruction de la statue de Louis XV sur la place royale. Patriote modéré, Adrien Duquesnoy n’en fut pas moins suspect à partir de la chute de la monarchie le 10 août 1792 et échappa de peu à la guillotine en 1794. De retour en politique au moment du coup D’État de Napoléon Bonaparte le 18 Brumaire (9 novembre 1799), il devint conseiller de son frère Lucien Bonaparte et maire du Xe arrondissement de Paris. Il devint une personnalité très connue et tenait salon. Napoléon Bonaparte mit fin à ce bonheur en lui reprochant d’avoir célébré le mariage de son frère Lucien avec Mme Jauberthon qu’il désapprouvait. En grande difficultés financières, ruiné, il se noya dans la Seine à Rouen, le 3 mai 1808.