La vie de Maximilien Robespierre en quelques dates
6 mai 1758 – Naissance à Arras
1781 – Licencié en droit et avocat
26 avril 1789 – Élu député du tiers-état de l’Artois aux États Généraux
1790 – Intervient à plusieurs reprises en faveur des droits des citoyens passifs crées par la future constitution de 1791
1791 – Impose la non-réélection des constituants pour la future Assemblée législative; menacé par le pouvoir, il s’installe chez les Duplay après la fusillade du Champ de Mars
1791 – S’engage contre la guerre
1792 – Dénonce la journée du 20 juin contre la famille royale ; n’intervient pas lors du 10 août ; entre à la Commune de Paris ; élu à la Convention nationale.
1793 – Élu au Comité de Salut Public ; hostile à la déchristianisation ; fait décréter la liberté des cultes
1794 – Fait éliminer les Enragés puis les Indulgents dont Georges Danton et Camille Desmoulins ; fait décréter le culte de l’Etre suprême ; ne participe plus aux travaux des comités à partir du 28 juin ; arrestation le 27 juillet et exécution le 28 à l’âge de 36 ans.
Robespierre est-il la Révolution française ou ne l’est-il pas ?
Thérapeute de la République pour les uns, spectre horrifiant pour les autres, Robespierre n’en finit pas aujourd’hui de hanter les historiens sur le modèle qu’il incarna et qu’il incarne encore. Si l’on veut éprouver la pertinence d’une biographie, la vie de Robespierre est sans doute l’une des plus célèbres qui révèle que son exercice est très périlleux voire illusoire comme le souligne Pierre Bourdieu dans son célèbre article de 2001 L’illusion biographique. La vie de Robespierre est devenue avec le temps soit le poison soit l’antidote de la philosophie en politique pour des générations successives. Les propres actes de Robespierre et ceux de ses contemporains, les conditions dans lesquelles il a conduit la France durant l’une des périodes les plus tragiques et les plus fondatrices de son histoire, se diluent sans cesse dans l’océan chronologique qui s’élargit à perte de temps et aboutissent à un dialogue de sourds où l’histoire est la grande perdante.
Un enjeu biographique encore très caricatural
L’enjeu biographique de Robespierre réside encore dans le choix assez simpliste qui consiste soit à le lier pieds et poings au cours de la Révolution française jusqu’à ses affreuses abîmes, soit au contraire à en faire le parangon des vertus de la République, un héros qu’il faut réveiller lorsque ses valeurs sont en danger. Au début du XXIe siècle, force est de déplorer que les deux axes d’écriture biographiques s’opposent encore, s’irritant, s’invectivant, avec pour seule victime le public plus prompt à céder aux sirènes des caricatures qu’à se pencher sur les analyses froides et sereines. La troisième voie qui consisterait à l’extraire d’un enchaînement d’événements et de décisions dans lesquels il eut sa part, une part parfois décisive mais qui ne peut l’engager seul, en responsabilité pleine et entière, doit encore convaincre la majorité de l’opinion.
2012 : le monstre génocidaire à l’ordre du jour
Dans une émission de télévision grand public, France 3 a diffusé le 7 mars 2012 un documentaire de la série L’ombre d’un doute, réalisé par Richard Vargas et raconté par Franck Ferrand intitulé : Robespierre, bourreau de la Vendée ? Au final, Robespierre apparaît comme étant l’inventeur d’un programme d’éradication d’une population et l’ordonnateur des fameuses colonnes infernales du général Louis-Marie Turreau (1756-1816) exterminant les Vendéens qui ont préfiguré pas moins que les Einsatzgruppen nazis (Photo n°2); à travers « l’œuvre » de Robespierre se confirment de manière assez éhontée les parentés étroites de la Révolution avec le Nazisme et le Communisme. Ce documentaire faisait suite à un énième numéro de la Revue d’Historia qui, s’appuyant sur deux siècles de légende noire, fait de Robespierre un psychopathe et affirme entre autres qu’il a déshonoré la République en étant l’inspirateur des massacres de Vendée. L’auteure de cette thèse mainte fois macérée, souvent sans preuve (Robespierre n’a rien écrit à ce sujet et les acteurs des massacres de Vendée étaient très loin d’être sous ses ordres), Anne Bernet, sans être historienne, fait partie de ceux qui interprètent la Révolution française en négatif, qu’ils soient royalistes, catholiques ou tout simplement défenseurs « rétroactifs » des droits de l’homme à l’image du Livre noir de la Révolution française (Éditions du Cerf, 2008) qui énumère les crimes de cette époque comme son initiateur Stéphane Courtois l’avait fait pour le Livre noir du Communisme (Laffont, 1997). Les perspectives de ces analyses sont discutables mais elles ont surtout pignon sur rue parce qu’elles caressent dans le sens commun une opinion publique déjà acquise au procès du phénomène même de révolution.
Initiateur ou fossoyeur des droits de l’homme ?
Les royalistes, les catholiques et tous ceux qui condamnent la Révolution sont-ils donc tous antirobespierristes? Depuis la mort de Robespierre le 28 juillet 1794 qui a correspondu à la fin de la Terreur et de la Révolution, l’historiographie s’est construite à force de portraits taillés à la serpe contre le tyran sanguinaire. La légende noire forgée par ses contemporains soulagés par sa disparition est en effet très riche jusqu’à se nourrir des fantasmes les plus grossiers. L’abbé Proyart dans son ouvrage de 1795, La vie et les crimes de Robespierre nous apprend que Robespierre avait créé une « tannerie de peau humaine », grâce à ses assassinats officiels, afin de « procurer des souliers aux sans-culottes ». Galard de Montjoye, dans son Histoire de la conjuration de Maximilien Robespierre en 1796 (Photo n°3) affirme qu’il organisa, durant son passage au pouvoir des orgies avec des prostituées. Un comble pour un homme dont on a toujours critiqué la froideur et l’absence de sensualité ! Jusqu’à il y a un demi-siècle, le « monstre » Robespierre tel que le décrivit l’un des ses plus grands ennemis, Edmond Louis Alexis Dubois-Crancé (1747-1814), incarna à la perfection le mal révolutionnaire, et les ouvrages les plus récents n’hésitent pas à broder encore sur son fanatisme, sa paranoïa et sa soif de sang au nom d’une égalité à laquelle il ne croyait pas.
Si on n’en a pas vraiment terminé avec ces portraits qui mêlent les appréciations de ses propres ennemis aux analyses hostiles des historiens, le mal est aujourd’hui plus profond et intellectuellement plus pervers. Il s’agit auprès du public de conforter notre conscience occidentale des Droits de l’Homme en remontant le courant des atteintes les plus innommables d’une époque qui les a toutefois inventés. Et pourtant, Robespierre est l’un des penseurs majeurs de cette fondation. La géologie démocratique est un exercice peu goûté de nos jours tant elle heurte notre sensibilité contemporaine lorsqu’il s’agit d’assister à son accouchement douloureux. Lamartine écrivait dans son Histoire des Girondins (1836), frange politique que Robespierre avait pourtant contribué à éliminer au printemps 1793, qu’il était devenu « l’âme de la République », celui qui avait tenté de régénérer sur les ruines de l’Église catholique le sentiment religieux dans le peuple. Le grand poète égaré en politique avait compris que Robespierre était une marche fondatrice de la République dont il rêvait en 1848.
Robespierre n’est donc pas la Révolution française quand on voudrait seulement y voir le maître d’œuvre de la Terreur, le bourreau de la Vendée ou de Louis XVI ; il est la Révolution française dans son cours le plus incertain et le plus chaotique ; il est le chef charismatique d’une dictature entre 1793 et 1794 qui fut plus collégiale que personnelle, l’idéaliste coupable d’une République au service du peuple, « l’incorruptible » dans un monde banalement immoral. Robespierre est sans doute, comme l’écrivit magnifiquement Max Gallo (Photo n°4, L’Homme Robespierre. Histoire d’une solitude, Perrin, 1968, ) : un « météore passionné, […], victime expiatoire utilisé par les habiles pour leur ouvrir le passage, héros finalement manœuvré puis condamné et abandonné par les prudents, masque glorieux qu’une classe mesquine se donne le temps d’une séduction, pour trouver des alliés parmi les pauvres». Il est enfin, comme le dit Napoléon Bonaparte, le « bouc émissaire de la Révolution ».
Robespierre ou la force de conviction
Né à Arras en 1758, avocat élu député du tiers-état aux Etats Généraux de 1789, il devient en 1790 président du puissant club des Jacobins qui allait essaimer dans toute la France et propager la flamme prométhéenne d’une révolution toujours en marche, résistant à toutes les oppositions contre ou anti révolutionnaires.
Député à la Convention en septembre 1792 après avoir obtenu tous les bénéfices politiques de la Révolution du 10 août (Chute de la monarchie) à laquelle il ne participa pas, Robespierre est au sommet de sa popularité et de sa vie politique jusqu’à la fin. Clairvoyance et lucidité furent durant ces années troubles sa marque de fabrique. Ses adversaires lui rendent justice tout au long de sa carrière et même après. « Il ira loin, il croit tout ce qu’il dit », cette phrase célèbre de Mirabeau prononcée en 1789 (1749-1791), sans cesse citée, n’est que l’une des nombreuses représentations de la constance qu’il incarna dans un torrent révolutionnaire tumultueux. Adrien Duport (1759-1798) dit qu’il occupa sans interruption à l’Assemblée constituante « une chaire de droit naturel », quand Bertrand Barère (1755-1841) souligne sa sévérité « comme les principes et la raison ». Dubois-Crancé dira que jamais ses plus grands détracteurs (dont il fit partie) n’ont pu lui reprocher un instant d’égarement » et que « tel il fut dès le commencement, tel on le retrouvera à la fin ». « Rocher inexpugnable », tel les contemporains qui l’ont soutenu ou qui l’ont combattu le décrivent. Robespierre est à cet égard un personnage historique rare.
Au service de la République jusqu’au sacrifice
Cette force de conviction, Robespierre l’a mise au service d’une cause : la cause républicaine. Mais on ne saurait se limiter à ce seul terme de « république » dans une société qui aujourd’hui s’en réclame à l’unanimité et à travers laquelle on ne peut pas reconnaître celle qui est en train de naître dans la douleur et le sang à partir de 1789. Les raisons sont nombreuses qui font de Robespierre un penseur de la République au sens civique du terme et un homme d’action au sens historique. De 1789 à 1794, Robespierre est au gouvernail tout en ne cédant devant aucune compromission. Albert Mathiez (Photo n°5), dans un article célèbre intitulé Pourquoi nous sommes Robespierristes ?, énumérait avec soin ce que l’histoire de France lui devait : « Il ne s’est pas borné à prendre en toute occasion la défense de tous les déshérités, des juifs, des comédiens, des esclaves ; il ne s’est pas borné à se pencher avec ferveur sur les misères des soldats et de leurs familles, envers lesquelles il proclamait que la nation avait contracté une dette sacrée ; il s’est levé avec une clairvoyance étonnante contre la nouvelle oligarchie qui finit par confisquer la Révolution à son profit ». Encore en 1920, il faisait de « l’élixir Robespierre » la solution des maux d’une France dans laquelle « les calculs de l’intérêt, l’esprit de parti et d’intrigue, les mœurs féodales de la clientèle ont remplacé la noble et nécessaire émulation pour le bien public, sans laquelle les États périssent ». S’il y a dans le grand historien robespierriste toute l’admiration sensible pour l’idéal vertueux rencontré dans la vie de Robespierre, on ne peut que retrouver tout au long des discours de l’Incorruptible des avertissements critiques qui résonnent à toutes les époques et jusqu’à la nôtre.
Le premier grand critique du régime parlementaire
La passion du bien public a tant dévoré Robespierre qu’il a extrait de son expérience d’innombrables réflexions sur les dangers qui guettent la démocratie. L’opinion publique que l’homme politique ne doit pas caresser au gré de sa fortune personnelle ; la solitude de la raison contre tous au prix parfois le plus fort ; la haine du politicien professionnel qui est tenté de faire de son mandat un métier comme il le prouva en faisant voter la loi rendant inéligibles les députés de la Constituante (1789-1791) pour la Législative (1791-1792), etc. Engagé dans une guerre (déclarée en avril 1792) que ses adversaires ont désirée ardemment et contre laquelle il a redouté, seul contre tous, les dérives extérieures autant qu’intérieures, il a poursuivi son œuvre jusqu’au paroxysme de la résistance. Élevé en tyran par les Jacobins il fut victime des factions le 9 Thermidor (Photo n°6), de ses amis devenus ennemis, des « fripons » dira André Malraux, juste après leur avoir crié à la tribune de la Convention : « Je ne suis d’aucune faction : je les combattrai toutes ; elles ne s’éteindront jamais que par les institutions qui produiront les garanties qui poseront les bornes à l’autorité, et feront ployer sans retour l’orgueil humain sous le joug de la liberté publique ».
Mourir pour ses idées…
Dans ce théâtre d’ombres que fut la Révolution française, sur les planches duquel la guerre et l’idéal politique intérieur pouvaient difficilement être menés de front sans contradiction ni opposition meurtrière, Robespierre alla jusqu’au bout de convictions qui peuvent paraître aujourd’hui très naïves et qui confinent à la sainteté innocente. Henri Guillemin, au terme son Robespierre, Politique et mystique (Photo n°8, Seuil, 1987) apporte une « ultime adjonction » à ses réflexions sur l’homme Robespierre, son utilité historique et fondatrice en citant Charles Péguy (1873-1914) : « La mystique républicaine, c’est quand on se faisait tuer pour la République ». Or ce fut là, très précisément le cas de Robespierre conclut-il. « Il s’est fait tuer pour la République telle qu’il la concevait ; on l’a tué à cause d’une certaine idée qu’il avait de la République : une cité où – dans son rêve- « toutes les âmes s’agrandiront ». Ce portrait républicain référent n’est pas contradictoire avec les affres d’une Terreur dont il fut la dernière victime mais au contraire le signe que la biographie épuise l’histoire ou la transforme plutôt de manière à ce que l’opinion l’emporte, sensible et affective, oubliant l’homme et ne conservant que son symbole. Car qu’il s’agisse de l’apprentissage de la démocratie, de la lutte sans merci contre les injustices qu’elles soient sociales, économiques ou politiques, de la critique constante des parlementaires, des hommes D’État, Robespierre et ses discours sont une source inépuisable.
A la recherche d’une vaine réhabilitation
Le magasine l’Histoire de juillet-septembre 2013 consacré à la Révolution française titrait à propos de Robespierre : Doit-on réhabiliter Robespierre ? Au terme de cet échantillon historiographique qui rend d’emblée irréconciliable les deux thèses qui s’affrontent selon que l’on ait ou pas des comptes à régler avec la Révolution, il semble que la réhabilitation n’ait aucun sens. Elle énerve davantage qu’elle ne rassemble tandis que l’extraction des faits dans leurs contextes respectifs semble davantage opérationnelle. L’un des historiens français de la Terreur qui prend ses distances avec l’homme, sans affect, Patrice Gueniffey, souligne avec justesse cette conclusion en marge de son élimination le 28 juillet 1794 : « Évidemment, ses ennemis l’ayant pris de vitesse le 9 Thermidor, nous ne saurons jamais quels étaient ses projets, mais les circonstances même de sa chute (il ne voulut pas prendre la dictature que lui offraient les sans-culottes) montrent qu’au fond, il ne possédait pas les qualités ou les défauts, comme on voudra, qui lui eussent permis de devenir dictateur, et d’inventer en 1794 la version moderne de la dictature, personnelle et charismatique, que Bonaparte instaurera en 1799, proclamant, fort de son lien direct avec le peuple : « C’est moi qui suit le pouvoir constituant ». Quand Robespierre est un dictateur raté en quelque sorte.
On est donc ici très loin de l’histoire manichéenne stérile encore très populaire aujourd’hui autour de Robespierre soit pour en faire un Pol Pot (Dirigeant Khmers rouge, 1928-1998) des premiers temps de la démocratie française soit pour l’ériger en modèle régénérateur d’un système républicain qui se délite. On doit demeurer, de manière moins spectaculaire sans doute, dans l’analyse fine d’un destin et d’une œuvre, au cœur d’un événement fondateur, tout en gardant la quintessence du jugement historien, imperméable à l’opinion, ne gardant que le sens. Robespierre est à tout point de vue un passage essentiel dans l’étude de la naissance de la démocratie française qui s’est faite dans le sang.
Coupable ou non coupable ?
La quête des responsabilités par ces temps de médiatisation omnipotente de l’histoire est elle aussi inutile ; trop nombreux sont les écrivains, parfois même de vrais historiens, qui cèdent à la tentation de la justification à la recherche d’un équilibre neutre introuvable. Certains classent les erreurs commises, voire les fautes, ici de la Vendée, là de la mort du Roi, ailleurs de l’escalade ineffaçable de la Terreur au printemps 1794 ; comme si l’on pouvait comprendre l’histoire par un ré-ordonnancement de l’enchaînement des faits. Il est vrai que le public a besoin de repères sous forme d’anathèmes ou de glorification. A tort. Pour ces trois actes d’accusation les plus connus du grand public contre Robespierre, il y en a un seul à propos duquel il a tôt fait savoir sa décision implacable, seul acteur sans partage : celle qui dès le 2 novembre 1792 lui a fait opté à propos de Louis XVI pour le châtiment suprême. Le 16 novembre (quatre jours avant que l’on découvre la correspondance coupable du Roi avec l’étranger et l’Émigration dans la fameuse armoire) il achève dans son Parti à prendre à l’égard de Louis XVI : « Je conclus que la Convention nationale doit déclarer Louis XVI traître à la patrie, criminel envers l’humanité et le faire punir comme tel ». Avant et même après lui pourtant, nombreux sont les révolutionnaires qui avaient proclamé l’intérêt de verser le sang pour sauver la liberté. De Barnave à Mirabeau, de Brissot à Isnard qui avait fermement déclaré dès le 8 octobre 1792, « Quelques têtes tranchées et vous verrez pâlir tous nos ennemis », en passant par Kersaint qui estimait en septembre qu’il était temps d’élever des échafauds, chacun a eu sa part d’encouragements avant de finir souvent sous le hachoir. La vérité est que Robespierre s’engagea dans le combat en assumant que la chair humaine ainsi sacrifiée était le prix à payer pour la sauvegarde de la République. Lui qui avait très tôt prôné l’abolition de la peine de mort devint ce « mystique assassin » décrit par l’historien Alphonse Aulard (1849-1928, photo n°8). Ce combat l’a mené à sa mort qu’il savait prochaine, tandis que d’autres la fuyaient au prix de toutes les compromissions. Défiant pour l’éternité ceux qui lui ont survécu après avoir été plus généreux dans l’effort de destruction de l’ennemi, futurs hommes d’État comme Paul Barras (1755-1829) ou Joseph Fouché (1759-1820), défiant le jugement de l’histoire beaucoup plus prompte à pardonner la folie meurtrière des généraux de toutes les guerres, Robespierre a donné sa vie à la Révolution pour en devenir le symbole fondateur. En cela, Robespierre s’est illusionné comme avec ses contemporains car il n’a pas compris (ou plutôt voulu comprendre) comme le dira si bien François Mauriac (le Figaro littéraire, 24 février 1956) que « La politique est peut-être le seul domaine où le renoncement à l’innocence devient mérite, devient vertu ».
Robespierre et sa défaite posthume
Il y a, dans l’histoire, des représentations noires constantes qui traversent les siècles sans encombre ; celle que nous avons de Robespierre le doit beaucoup à lui-même, dans cette irrépressible volonté d’incarner la vertu jusqu’au sacrifice de sa vie. Comme le souligne à propos Max Gallo qui conserve une affection lucide pour le personnage : « Maximilien a besoin de croire à une victoire posthume mais, quand on choisit ainsi la mort, quand on veut comparaître devant le tribunal de l’Histoire, c’est qu’on n’a pu maîtriser la vie et le présent et que l’échec scelle une tentative ». Au nom de cet « échec » qu’il lègue à la postérité, les uns choisissent encore l’opprobre, les autres l’exemplarité. L’opprobre jetée sur un homme qui a dominé ses contemporains par son action et son intelligence mais qui a toujours tenu à se justifier, même de l’absurde et de l’horreur ; l’exemplarité d’un républicain pour ceux qui rêvent d’une démocratie « organisée et vivante », une démocratie invincible parce qu’elle sera juste et fraternelle » comme l’estimait Albert Mathiez en se justifiant d’être « robespierriste ».
Un bourreau chaste et honnête ?
L’historien et biographe Henri Guillemin n’hésite pas à citer en postface de son Robespierre, Politique et mystique, comme un pied de nez à l’histoire savante, le commentaire de son meilleur ami, le journaliste anarchiste Pierre Châtelain, au sortir de l’une de ses conférences sur la Révolution ; elle sonne vraie, comme une réflexion de bistrot : « M’emmerde pas avec ton Robespierre. Guillotine et guillotine et encore guillotine, c’est dégueulasse. Et sa fameuse chasteté ! Qu’est-ce que ça veut dire ? Un cinglé, un faux moine. Il aurait bougrement mieux fait de baiser comme tout le monde, au lieu de couper des têtes. Deux bons points tout de même. Deux gros. Il ne cherchait pas le fric, comme Danton-le-Salopard. Et deuxio, l’horripilation que lui inspiraient les rationalistes à œillères, ces micros, ces cons ». Il y a dans cette citation triviale d’un biographe de Robespierre opposé aux royalistes et aux historiens « de droite », comme une ultime réflexion, la plus profonde sans doute sur ce qu’il demeure du débat Robespierre, celle qui illustre la vanité de toute biographie quand on veut lui faire dire l’histoire et celle qui prouve aussi que l’histoire peut triompher de la biographie lorsqu’elle délaisse les codes ouvertement partisans.
Les historiens étrangers écrivent sur Robespierre de manière de plus en plus apaisée et lui rendent justice autant qu’ils constatent sa trop grande rigueur (L’Australien Peter Mc Phee).
Évoquer Robespierre en France reste en revanche très délicat pour ne pas dire très polémique. Jean-Philippe Domecq (Photo n°9) apporta il y a une trentaine d’année une réponse qui n’a pas pris une ride, plus psychologique que politique, plus culturelle qu’historique : « Robespierre gêne, pas seulement parce qu’une pédagogie sociale fut longtemps intéressée à nous faire maudire nos révoltes. Il a l’aura inquiétante de la révolte enfin plus rusée que la force, il traite l’indignation par l’algèbre ; par sa bouche l’inégalité réelle passe pour mythique, et pour réel le mythe égalitaire. Peut-être aussi qu’entre les figures de notre histoire, Robespierre incarne une dimension spécifique à la culture française et que celle-ci précisément veut occulter : quelque chose comme une rationalité jouxtant la folie, de jardins en codes, d’alinea en articles de lois, de finesse en nuance pour filer, comme le voulait Descartes, avec méthode les envies, quitte à les pourchasser, d’idéal captieux en rigueur justicière, quitte à gagner sur l’irrationnel et ouvrir parfois sur l’impossible la poésie », Robespierre, Derniers temps, Seuil, 1984. (Extrait d’Apostrophe de Bernard Pivot du 20 juillet 1984).
On peut méditer enfin sur cette comparaison avec Voltaire, le père des Lumières, qui ne faisait pas mystère de ses intérêts personnels à travers cette formule : « Le plaisir est l’objet, le devoir est le but/De tous les êtres raisonnables » ; elle tranche de manière extraordinaire avec la vie de Robespierre, empreinte d’un intérêt collectif suprême et si peu attentif au sien propre. A Voltaire le rappel joyeux et constant de toutes les générations quitte à noyer sa vraie personnalité et ses intentions réelles, à Robespierre l’incessant opprobre, la vindicte populaire et l’incompréhension éternelle, quitte à oublier le rôle historique essentiel qu’il a joué dans la construction de notre démocratie.
Frédéric Bidouze
Petit pré carré documentaire
Slavj Zizek, Robespierre entre terreur et vertu, Stock, Coll. « L’autre pensée », 2008. Lecture de Robespierre à travers ses discours. L’une des versions les plus récentes d’une biographie réflexive sur les contradictions de la démocratie.
Michel Biard et Philippe Bourdin, Robespierre, portraits croisés, Armand Colin, 2012. Ouvrage universitaire sérieux qui construit, enrichit et nuance la réflexion du lecteur.
Joël Schmidt, Robespierre, Folio, 2011. Portrait réalisé par un romancier et critique qui tente de percer le mystère Robespierre. Sa thèse : en faire un homme passionné et égaré dans son siècle, rêvant d’une République romaine parfaite.
Jean Atarit, Robespierre ou l’impossible filiation, La Table ronde, 2003 ; Laurent Dingli, Robespierre, Flammarion, 2004. Les deux livres font un peu la paire. Exemples même de biographie téléologique qui analyse la vie et l’œuvre de Robespierre en fonction des intentions de l’auteur, recomposant une vie dont la mort donnerait tout son sens. Robespierre est un fanatique messianique et paranoïaque.
Alexis Corbière, Laurent Maffeis, Robespierre, reviens !, Bruno Leprince, Politique à gauche, 2012. Ouvrage réactif à l’histoire caricaturée de la Révolution française et de Robespierre. A la recherche d’une gauche tournée vers l’avenir selon les auteurs.
Fournier Sarlovèze s’était fait remarquer par des prises de position jacobines outrées, ce qui lui vaut d’être destitué après la mort de Maximilien Robespierre et même emprisonné à Lyon. Fournier Sarlovèze repose dans le carré des personnalités près d’un Colonel du Premier Empire Henry Sanfourche en Dordogne. Napoléon 1er général de brigade le 22 décembre 1793 refusera au commissaire Augustin Robespierre (frère de Maximilien de Robespierre), son protecteur, le commandement de l’armée de Paris. Augustin dira d’ailleurs à son frère, par une lettre, que Bonaparte est « un mérite transcendant et Corse ». Le nom de « Bonaparte » est désormais connu de Maximilien de Robespierre. le jour de la chute de Robespierre. Ses amitiés avec les jacobins lui valent d’être brièvement arrêté le 9 août 1794 à Antibes, au fort Carré.